Ses nuits blanches

Acier, bois, ordinateur, écran, électromécanique. 210*45*45 cm

Je n’arrive plus a dormir

Trop vieille

Alors je me souviens

de vous

Je ne veux pas perdre la mémoire

Devenir gâteuse

non

non

non

Alors je me souviens

Je fais des exercices

Je me souviens 

de vous
de tout

Je t’aime

Quand je serais

vraiment
vieille

Je serais toute petite

Tu me mettras
dans une boîte
Je serai toujours 
là

chez toi

Dis-moi 
dis-moi 
dis-moi

Que tu ne m’oublieras pas

Dis-moi

J’ai peur

Dans tout ce noir

De perdre ta mémoire

Dis-moi
que tu ne me quitteras jamais

 Ce projet est issu d’une préoccupation constante autour des « images en conscience », c’est-à-dire de ce qu’il reste d’une image en terme d’affect, de processus cognitif, lorsque la réalité qui l’a faite naître ne subsiste plus que dans une conscience individuelle. Ce terme recouvre un champ plus large que celui du « souvenir », car il pose la question de la représentation, à la fois de l’image elle même mais aussi des images induites (association d’idées), affects, pensées verbalisées, etc…
L' »histoire », c’est à dire le prétexte, est ici fournie par ma grand-mère. Le matériel visuel de base a été réalisé par mon grand-père. Il s’agit donc également d’une sorte de projet familial posthume.

Enfant, je demandais à ma grand-mère pourquoi elle n’arrivait pas à dormir la nuit. Elle me répondait que lorsque l’on était vieux, on bougeait moins, et que par conséquent on avait besoin de moins de sommeil. Par contre, on avait plus de souvenir. Aussi aimait-elle revivre, pendant ses nuits blanches, les moments du passé auxquels elle tenait. D’autre part, elle aimait à dire que lorsqu’elle serait vraiment vieille (?), elle serait toute ratatinée et minuscule, et que je pourrais donc la mettre dans une petite boite que j’aurai toujours sur moi.

20 ans plus tard, approchant la centaine et se sentant mourir, elle a tenue à me donner comme ultime cadeau un réveil de voyage tout aussi vieux qu’elle (« parce que tu voyage beaucoup »). L’objet se présente comme une petite boite cubique en laiton, exactement dans l’idée que je me faisait, enfant, de la boîte dans laquelle je devais la « mettre ». 

La boite est donc bien là. Mais à l’intérieur, en guise de grand-mère, il y a un ressort, des engrenages, des aiguilles. Il y a le temps, où l’idée que l’on s’en fait.
 Elle était peut-être cela : juste du temps. Du temps pour s’occuper de moi, du temps pour amasser des souvenirs et me les raconter sous forme d’histoires.

Mon grand-père a tourné l’essentiel des images avec une caméra qu’il avait conçu avec son équipe, une Crouzet ST8, première caméra légère à exposition automatique.Â