L'interprète

Acier, bois, vidéoprojecteur, écran, ordinateur. 300*200cm

La machine de «l’interprète» reprend la typologie d’un dispositif de projection du début du cinéma : une surface de projection, un musicien en retrait (la colonne).
Ce dernier élément est conçu comme un instrument de musique à part entière. La partie inférieure est un caisson de basses et le plan incliné supérieur réfléchi les aigus provenant de tweeter placés derrière l’écran LCD (pianos). Les claviers ont été filmés avec un dispositif de sampling audio/video. Le montage a été réalisé sur un programme spécifique d’échantillonnage de boucles audio/video.
Les images sont issues de «Orlacs Hände» de Robert Wiene (1924) et de «Mad love» de Karl Freund (1935). Les deux films sont des adaptations du roman de Maurice Renard «Les mains d’Orlac» (1921) où un pianiste célèbre se voit greffer les mains d’un meurtrier suite à un accident de train.

L’interprète est un essai cinématographique. « Un son est une chose, une image est autre chose, ce son et cette image ensemble est encore autre chose ». Tirant parti de cette constatation, Le compositeur Michel Chion envisageait un nouveau médium, l’audio-vision, où son et image aurait la même importance et serait créés conjointement.
Dans la pratique il en est autrement. Les parcours de créations musicales et sonores se déploient le plus souvent comme deux lignes parallèles qui ne s’épousent jamais dans une pratique simultanée. On crée une musique sur une image, une image inspire un son. On passe du piano à la table de montage, de la caméra au magnétophone multipiste. On ne fait pas les deux en même temps.
 « L’interprète » est une tentative pour unifier les deux pratiques dans un même geste et une même inspiration. Considérant qu’un stimulus visuel vaut un stimulus sonore, qu’image et son sont aussi inséparables que chroma et lumière, j’utilise la table de montage aussi bien comme instrument de composition sonore que visuelle.
J’ai d’abord utilisé un procédé de sampling audio-vidéo pour m’enregistrer au piano. Puis j’ai déconstruit le matériel image et son en créant des boucles évolutives à l’aide d’algorythmes. J’ai procédé a de très grand ralentis sur le film muet en gommant l’aspect saccadé grâce a un procédé de rémanence des pixels. Puis j’ai appliqué les outils du monteur (répétitions, inversions, figure rythmiques, variations de vitesses) pour recomposer film et musique conjointement (Il y a là l’influence du cinéaste expérimental Martin Arnold).
A l’issue de tout ce long et complexe processus, il y a « l’interprète » qui nous parle d’un homme qui ne peut plus jouer du piano. Qui ne peut plus être spontané. Qui ne peut plus être en communion avec un public, dans l’instant et dans un geste. Cela, c’est l’histoire du cinéma, lorsqu’il s’est arrêté d’être un spectacle vivant avec musicien et commentateur pour devenir un spectacle exclusivement enregistré. C’est aussi mon histoire personnelle avec le piano : je ne sais qu’improviser. Je suis incapable de jouer deux fois la même chose. Si je me pose la contrainte de l’interprétation, de la réédition, mes mains ne répondent plus. Pour qu’il en sorte quelque chose, il faut que je les oublie, ou plutôt qu’elles m’oublient, ce qui est bien le thème des « mains d’Orlac ».